Les bonnes nouvelles
Le lait bio profite de la crise de la Covid-19. La consommation progresse partout en Europe et plus encore en France sur cette période (+22% sur le mois de mars 2020 par rapport à mars 2019 pour les laits liquides par exemple). Plusieurs spécificités expliquent cette tenue de la consommation du bio :
• une consommation portée par les ménages (+ de 90%) avec peu de débouchés en RHD,
• un marché national avec peu d’exports, moins sensible aux contraintes logistiques douanières et sanitaires,
• un engouement pendant la crise pour les débouchés traditionnels du bio : les magasins de proximité et spécialisés, de même que la GMS où les MDD et marques leaders (Danone…) implantées dans ces lieux sortent renforcées dans l’acte d’achat des ménages,
• un mix-produit du marché bio favorable en situation de confinement. En effet, les produits « cuisinables » y sont en bonne place : le lait liquide représente 25% de la collecte, le beurre 20% (contre respectivement 9 et 18% pour l’ensemble de la collecte lait conventionnel). Les fromages représentent seulement 9% de la collecte contre 33% pour la filière lait ce qui fait que le bio souffre peu de la mévente observée sur les fromages AOP par exemple.
Cette dynamique de la demande permet malgré la crise sanitaire d’absorber la forte croissance de l’offre de ces dernières années.
On comptait environ 2 000 exploitations en 2015, elles sont 3 650 en mars 2020. Désormais, 7% des exploitations laitières françaises sont en bio avec plus d’1 milliard de litres de lait produit. La bonne tenue du prix aux producteurs (491 €/1000 l sur ce premier trimestre) et les perspectives 2020, malgré la baisse saisonnière à venir (prix proche de l’an dernier), incitent aux conversions et à produire plus par point de collecte (la collecte a doublé en 6 ans).
Le défi du bio : veiller à l’équilibre structurel offre / demande
Malgré cette bonne tenue de la demande, l’engorgement guette et si la matière grasse du lait bio reste bien valorisée, la matière protéique se heurte toutefois à plus de difficultés. Déjà, du déclassement est opéré pour des raisons certes techniques, mais aussi pour soutenir le prix ; 22% du volume produit ce printemps est déclassé. Mais attention, trop utilisé, l’outil de déclassement obérerait le prix moyen pour le producteur. Une incitation à réduire la production est sollicitée par nombre d’acteurs dont Biolait (qui pèse 35%des volumes collectés) pour parvenir à cette alchimie de l’équilibre.
Les questions posées :
La filière bio française termine la « digestion » de la vague de conversions initiée en 2015-2016 avec un certain panache. Elle s’est structurée autour de quatre entreprises qui totalisent près de 80% du lait bio collecté. Cette structuration donne des moyens pour agir et apporter des réponses aux questions ci-dessous.
Le pouvoir d’achat des consommateurs : quel est l’impact d’un moindre pouvoir d’achat sur la demande de lait bio ?
La protection naturelle du marché français : le Danemark et l’Autriche sont devenus exportateurs de lait bio en UE. Le marché français, assez imperméable jusqu’à présent, pourra-t-il rester captif durablement ?
La crise, vecteur de conversions : les déconvenues attendues de nouveau sur le prix du lait conventionnel vont-elles générer un nouvel afflux des conversions comme en 2016 ?
La standardisation des produits en magasin : le nombre de références produits bio a été réduit en magasin. Cela a favorisé les MDD et les grandes marques nationales. N’est-ce pas une stratégie limitative de la valeur ajoutée à terme ? Une nouvelle période de segmentation, fondée par exemple sur une demande de RSE formulée par les consommateurs de bio, va-t-elle s’ouvrir ?
Le prix payé au producteur : l’Allemagne, premier producteur européen de lait bio, connaît un tassement du prix sur 2018 et 2019 malgré une moindre croissance de la production comparée à la France. Connaîtrons-nous une évolution similaire en France ?
Autant d’interrogations dont il faudra suivre les réponses pour se représenter ce que seront les lendemains du bio.
Jean-Yves MORICE – Veille économique agricole CERFRANCE