La bonne nouvelle

Au terme des cinq premières semaines de confinement, alors que la fermeture de la restauration hors domicile (RHD) occasionne la perte à hauteur de 85% de ce marché de 2 milliards de litres de lait, la bonne surprise vient d’un parfait report de consommation via les achats en GMS et autres circuits de distribution.

Les ventes de beurre et de crème affichent une hausse de 40% par rapport à 2019, le lait conditionné +35%, l’ultra frais près de +20% et le fromage libre-service +30%. Contrairement aux craintes premières, ces volumes compensent avantageusement la perte de consommation en RHD. Les transformateurs et distributeurs doivent cependant faire preuve d’une forte réactivité pour répondre à la demande, laissant parfois certaines PME moins flexibles en difficulté.

Cette dynamique des transformateurs français a permis de collecter tout le lait des producteurs en organisant une mutualisation parfois entre eux, ce qui n’a pas été le cas dans de nombreux pays, notamment aux USA où les producteurs furent contraints de jeter du lait.

Il convient toutefois de tempérer cela pour les producteurs, par deux considérations :

Si le report en volume s’observe le panier acheté diffère, avec plus de demandes de produits basiques et « pratiques ».

 Les produits à plus hautes valeurs, et fortement différenciés, tels que les fromages AOP ou à la coupe sont à la peine et connaissent des stocks inquiétants car périssables.

Cela explique la réduction de fabrication décidée dans ces filières : 20% dans les Alpes pour le reblochon, la tomme, l’abondance, 30% pour le Saint-Nectaire et, dans un premier temps, 8% sur 3 mois pour l’AOP Jura. Cette dernière appellation a finalement décidé d’en répartir l’impact dans le temps sous forme d’une réduction de 2,3% sur l’année.

Ces segments adoptent ainsi une stratégie de lissage de l’impact immédiat de la crise et espèrent préserver le prix sur les prochains mois.

Les débouchés exports sont en recul, or ils pèsent 6 fois plus en volume que la RHD.

L’impact de la pandémie sur ces exports représentatifs de 37% du débouché du lait français (contre 6% pour la RHD) serait de l’ordre de 25%. Là encore, il faut distinguer deux situations:

La première est liée au réflexe de renationalisation de la consommation dans les pays européens.

Cela est peut-être synonyme de perte sèche de volumes pour demain.

La deuxième correspond à l’attentisme pour signer de nouveaux contrats d’achats de produits industriels, la Chine notamment, pariant sur une baisse des cours ; les problèmes logistiques et les barrières sanitaires à l’export contribuent à ralentir encore le commerce.

Cela représente un report de commercialisation pour lequel la partie reste à jouer.

L’activation par Bruxelles le 22 avril des mesures d’aide au stockage privé, avec une enveloppe de 30 millions d’euros constitue une bonne nouvelle et contribue déjà à stopper la chute des cours de la poudre de lait qui flirtait avec le prix d’intervention. L’attentisme des importateurs trouvera dans cette première mesure sa limite et ils devraient être amenés à réactiver la signature des contrats.

Quelle perspective pour le second semestre 2020 ?

Les leviers pour rompre l’inadéquation offre/demande du moment

Lissage quantitatif de l’offre pour ajuster la production aux débouchés

La mesure de réduction décidée par l’interprofession française est un outil incitatif aux côtés d’autres tels que la saisonnalité mise en oeuvre par nombre d’opérateurs.

Si l’inadéquation offre/demande qualifiée de saisonnière pour l’heure devenait plus durable sur le second semestre 2020, faute de reprise de la demande, des mesures telles que l’activation de l’article 219 ou le recours au stockage public pourraient être nécessaires.

Des moyens que n’envisage pas Bruxelles pour l’heure, de crainte des effets pervers de ces mécanismes lors de la remise sur le marché de ces stocks qui contribuent à freiner la remontée des prix lors de la reprise de la consommation.

Surtout, la pression offre/demande est européenne et non seulement française. Or nos voisins poursuivent, plus que nous, une stratégie « d’avantage compétitivité ». L’Irlande, les Pays Bas, l’Allemagne sont peu enclins à gérer l’offre comme on a déjà pu l’observer ce printemps avec le premier pic saisonnier, contrairement à la France et l’Italie. La logique dans cette stratégie consiste à produire plus pour maintenir le chiffre d’affaires en cas de baisse de prix du lait. Le prix de vente moyen de 335 €/1000 l sur avril 2020 en lait standard, devrait connaître une baisse de 20 à 30 euros sur la fin du printemps et le début de l’été pour le producteur. La restauration sur l’automne du prix du lait standard au producteur Européen et Français n’est pas une perspective certaine. Le rétablissement de la demande et de la valeur, une carte essentielle La dynamique du marché de la RHD et la question du pouvoir d’achat sont très dépendantes de la progressivité de la levée du confinement. Outre le risque de pertes en volume, la perte en valeur peut s’ajouter par la poursuite d’achat de produits plus basiques. Malgré tout, la filière a la main sur des campagnes promotionnelles pour inciter à consommer à nouveau. Gageons qu’elle sera réactive face aux modifications des actes d’achats des consommateurs (segmentation et packaging).

Jean-Yves MORICE – Veille économique agricole CERFRANCE

Rédigé par notre Expert Cerfrance ✏️